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Funérailles de Jovenel Moïse
Martine Moïse, veuve du président haïtien assassiné, Jovenel Moïse, livre un message lors des funérailles du président décédé, le vendredi 23 juillet 2021, au Cap Haïtien, Haïti.- (EFE/Orlando Barria)

Funérailles de Jovenel Moïse, spectacle d’indignation

Temps de lecture : 4 minutes

Mis à jour le 25 juillet 2021 à 15h09

Le 23 juillet 2021, la nation a rendu un dernier hommage au Chef d’État de facto, Jovenel Moïse. Cependant, cet adieu n’a été que le rappel continu de notre manque d’organisation et de solennité.

Un spectacle de désinvolture

© Valérie BAERISWYL / AFP

Lorsque j’ai vu les photos de préparation du site qui accueillerait les funérailles nationales du défunt Président de la République (les podiums bien montés, les superbes gerbes de fleurs, la tenue et le comportement impeccable de la garde présidentielle entre autres), je m’étais dit qu’on ferait bonne figure. J’avais peut-être pensé trop vite…

Cela aurait pu être une belle cérémonie si ce n’était cette atmosphère de désordre total. Alors, personne de tous ces responsables, proches du Président, ou encore des membres de l’actuel gouvernement n’avait prévu que nous serions sous les projecteurs des quatre coins du globe ? Il n’y avait donc aucun moyen de donner à un Homme d’État mort des funérailles dignes de son rang? Pourtant, un comité a été chargé de l’organisation de la cérémonie selon un arrêté du lundi 12 juillet 2021. Ce comité devait, entre autres, s’assurer du respect, de la solennité et de la dignité attachés au rang dudit personnage.

Le spectacle de désinvolture offert pour la cérémonie m’a révoltée au plus haut point. Du véhicule crasseux en guise de corbillard conduisant l’ex Chef d’État, en passant par le manque de professionalisme de ces faiseurs de « nouvelles » journalistes-paparazzi, pour rejoindre l’incompétence trop évidente du protocole, tout était à refaire. Ils s’étaient sûrement passé le mot pour nous retourner le cœur.

La famille présidentielle, par le biais du bureau de la veuve du disparu, avait indiqué ne pas vouloir d’aide du trésor public sans enlever le caractère national des funérailles. Le résultat ne fut pas trop réussi.

Jovenel Moïse a eu les funérailles qu’il méritait?

Des partisans du président haïtien assassiné demandant justice ont été tenus à l’écart des funérailles privées. | Photo: Matias Delacroix Associated Press

Certaines personnes sur les réseaux sociaux mettent en avant l’incompétence et les velléités dictatoriales du feu président pour justifier ce malheureux spectacle. Ils n’auraient pas tort. Le nom de Jovenel Moïse aura été le synonyme de plusieurs maux (mots) pour nous: Passivité, cruauté, violence, mensonges, conflits de gangs, instabilité. Le feu président, aurait inconsciemment, ouvert la voie, par sa passivité complice, à  son assassinat.

L’actualité passée en revue reste l’argument le plus percutant. Chaque jour, des citoyens sont kidnappés et tués. Des proches de Son Excellence sont souvent indexés. Des centaines de gens sont forcés de fuir leur quartier, leur maison. À cela, Il avait imposé un silence incompréhensible jusqu’à ce que son Premier Ministre de facto et intérimaire fasse une soit-disant visite pour signifier une reprise de contrôle de Martissant. Aujourd’hui encore, Martissant et le bas Delmas échappent au contrôle de l’Etat haïtien.

Des policiers furent envoyés à une mort certaine. L’Etat n’était même pas capable de ramener leurs corps à  leurs familles. Plusieurs massaces ont été perpétrés à  l’endroit de certains citoyens militants. Plusieurs rapports les ont signalés. Des proches du regime PHTK ont été indexés. Encore, le feu président répondait bêtement « bonne note est prise » – comme s’il était en train d’apprendre quelque chose – à cette question qui lui était adressée :  » Pourquoi Jimmy Cherisier est-il encore en liberté?

Une écolière a été kidnappée puis assassinée. Le coupable fut ramené par un recherché, Jimmy Chérisier. Lui encore, lui toujours. Un étudiant a été abattu dans sa faculté. Une directrice d’école et son époux  assassinés chez eux. Un Bâtonnier de l’Ordre des Avocats abattu chez lui à quelques mètres de la Résidence Présidentielle. Encore, les proches du feu président furent indexés. Toujours rien.

Finalement, quelques jours avant le bal final, un journaliste a été tué en pleine rue, une journaliste militante criblée de balles au volant de sa voiture. Un autre massacre, vous vous en doutez. Le Premier (Ministre) de facto, intérimaire pleura. Ce fut le tour d’une infirmière: un projectile l’atteignit dans une ambulance en service à Martissant dont l’État se disait avoir repris le contrôle.
Enfin, ce fut le tour de l’homme le mieux gardé du pays. Ce dernier fut assassiné dans sa résidence privée, pire, dans sa chambre à coucher!

Tout cela pour dire que si ces derniers n’ont pas tort, ils n’ont pas forcément raison. Il s’agissait d’un dirigeant en fonction. Le débat sur la fin de son mandat n’ayant pas été tranché par une instance compétente, il restait dirigeant de facto. Il méritait des funérailles dignes de son rang avec toute la préparation et la solennité requises. La dignité de l’être haïtien – président, comme simple citoyen –  se traduit dans la façon dont on enterre un dirigeant même contesté et incompétent pour beaucoup.

L’assassinat et les funérailles de Jovenel Moïse, énième preuve d’un Etat inexistant

La garde de Jovenel a été inactive malgré ses appels à  l’aide. Lors de ses funérailles, l’État a encore montré qu’il était dépourvu d’esthétique, de solennité et de professionnalisme. Cet énième affront à notre dignité montre que personne n’est vraiment épargné. Aujourd’hui,  cette phrase  » personne n’est épargné » a atteint une proportion extraordinaire dans sa définition, une proportion propre à Haïti.

Nous en avons bavé. Pire. Nous en baverons encore. Aucune leçon ne semble avoir été tirée. L’État n’existe plus. Nos petits dirigeants, ces imberbes, comme disait l’autre, sont beaucoup plus préoccupés par la bénédiction du CORE qu’à la fierté du peuple haïtien, ternie, une fois de plus. Les valeurs ont disparu, les principes banalisés: nous ne sommes plus capables de solennité.

J’ai toutes les raisons de ne plus espérer. Le peuple haïtien est un peuple livré aux vices de ses détracteurs ; ces détrousseurs avares, cruels, sans foi, ni loi. Il est un peuple à la dérive, vendu et trahi par ceux qui auraient dû se battre pour lui. Par dessus tout, ce peuple enrage. Je le sens- sourdement. Oui, le peuple est révolté. Il l’est depuis des lustres et oui, ce peuple est fatigué et il comprend. Il l’est depuis longtemps. Oui, le peuple est indigné. Il l’est depuis des années. Peut-être depuis toujours.

Le système se refait une santé. On essayera tout pour court-circuiter la voix du peuple comme en 2010. Cependant, il est logique [ il ne s’agit même plus d’espoir, croyez-moi] qu’un peuple même indécis et  manipulé dise NON au  joug des plus forts. Tous les pions sont en place.
La grande question demeure: pour encore combien de temps ?

À propos de Ramona Joëlle Adrien

Je m'appelle Ramona Joëlle Adrien, je suis Ergothérapeute travaillant surtout en Pédiatrie. Je suis une mordue des livres; passionnée des arts, de la musique et du volley-ball. Écrire est pour moi un moyen de m'echapper et m'isoler du monde ou de partager ce qui se passe au fond avec l'extérieur.

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