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Être une femme

Temps de lecture : 3 minutes

Mis à jour le 1 avril 2021 à 12h10

Il est cinq heures du matin, je dois me réveiller hélas ! Pour une autre journée morne et fatigante sous les cieux. Avec mon corps endolori et mon esprit brumeux, je peine à laisser mon lit. Après maints efforts, je finis par me mettre debout.

Je fredonne d’une voix presqu’inaudible cette vieille chanson haïtienne : « leve Cecilia » pour me donner une contenance. Etre femme de pasteur et femme au foyer n’est pas facile à gérer. J’avance lentement en trainant les pieds. Je me place face au miroir. Je me regarde, je me mets à nu, mes yeux me parlent, ils parlent pour moi. Mariée depuis tantôt dix ans avec le pasteur Dieulifait, j’ai eu trois enfants de cette union : Marie, Anna et Elisabeth (Babeth). Depuis je n’ai pas chômé, ne me ménageant pas pour les corvées de la maison.

Je dois chaque jour me réveiller de très tôt pour préparer le petit déjeuner, les boites à lunch de Marie et Anna, les envoyer à l’école. Babeth pour sa part est encore bébé, bientôt un an. Cette première manche accomplie maintenant place à la seconde : « le pasteur ».

Très friand et exigeant, il veut être toujours traité avec respect. La moindre négligence peut-être payée par une claque sonore car selon lui c’est un manque de respect envers lui et envers Dieu. Pour cela, j’ai le devoir de concocter de délicieux repas pouvant satisfaire son palet et son ventre puis, un autre pour les enfants et moi. Avec un revenu précaire, je suis dans l’obligation de jongler avec, en tenant compte de deux choses : satisfaire mon mari, ne pas laisser mourir de faim mes enfants.

L’école, le marché, la nourriture, le ménage…mon lot de chaque jour sans compter les travaux des filles après l’école : les leçons et les devoirs. C’est encore moi. La dernière fois qu’il a eu à aider les filles, Marie mon ainée, s’est vue envoyer une gifle en plein visage, elle l’a atteint dans son œil droit. Elle n’a pas pu aller à l’école pendant plus d’une semaine à cause du sang qui tachait son œil.

N’osant pas demander de l’argent pour payer les soins d’un ophtalmologue pour ma fille , je l’ai soignée avec glace et compresse de feuilles en prenant bien soin de cacher cela à tous, surtout ses fidèles toujours en quête des dernières actualités, des
« news ». Cet épisode rendra mes filles peureuses et muettes face à leur père.

En tant que femme et filles de pasteur, nous sommes tenues de donner l’exemple et créer le leurre d’une famille parfaite et exemplaire. Je n’arrive plus à me regarder dans ce miroir. Il me dit trop, il me juge, il me reproche mon silence, allant jusqu’à la réprimande. Que pourrais-je faire d’autre ? Sortir du silence ? Qui me croira ? Ou irais-je avec mes enfants ?

Quoique tabassée, parfois violentée par mon mari, j’ai au moins un toit pour mes enfants et moi. J’ai honte, honte de mon corps. Il a été trop souvent maltraité. Si Dieulifait est homme de Dieu sur la chaire, dans la chambre il est néanmoins tout autre. Dieulifait jouit dans la douleur de l’autre ; après m’avoir cinglée comme un animal. Je suis devenue animal d’ailleurs, il me zèbre les fesses avec des lanières en cuir pour ensuite me pénétrer violemment. Pas de préliminaires. Il ne veut pas tester, il se présente, force le passage avec un coup de reins vigoureux. Je crie, c’est là que commence son plaisir, dans ma douleur.

Il me chevauche sauvagement parfois, je saigne jusqu’à qu’il décharge en me souillant comme un âne. Chaque soir c’est le même refrain. Je redoute la nuit. J’ai peur…
Il m’arrive de rêver, mes rêves me permettent de me voir dans un autre monde, avec une autre vie, un mari aimant qui me dorlote comme dans les feuilletons de télé novelas. Mes rêves me donnent espoir. Ils m’empêchent de sombrer.

J’aimerais tellement qu’ils deviennent réels. Je ne devrais plus me plaindre. C’est mon sort. Un jour Dieu saura me délivrer. C’est ma croix que je porte. Quand on vit pour Dieu, il faut souffrir. J’endure ma pénitence avec courage. Merci Seigneur ! Ta grâce me suffit !

Tout à coup un cri strident me fait sursauter, c’est Babeth elle est réveillée. Zut 5h45 ! Trop de temps à rêvasser. Ce retard peut me coûter cher. Je prends Babeth dans mes bras, je mets mon sein rapidement dans sa bouche pour la faire taire, faut pas déranger le sommeil du pasteur. Je vais sous la fenêtre avec Babeth dans mes bras, je regarde le ciel, les premières lueurs de l’aube commencent à s’étendre lentement. Je vois Dieu sur son trône, tout à coup je sens une vague de plénitude, je me sens bénie. Dieu est vraiment bon et ceci en tout temps.

Babeth s’endort à nouveau, je la dépose doucement dans son berceau. Ma journée commence, j’entame déjà mes multiples tâches.

Junie Thomas

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