samedi , 27 avril 2024

L’ombre violeur

Temps de lecture : 3 minutes

Mis à jour le 1 avril 2021 à 12h09

Le vent était calme. Il caressait de temps à autres les branches sombres. Les feuilles dansaient la mélodie schizophrène des gouttelettes qui crépitaient sur leur surface lisse. Je ne me rappelle pas avoir regardé le ciel. Je ne saurais te dire si les étoiles étaient spectatrices. Je marchais de plus en plus vite.

J’avançais avec des pas incrédules. La nuit était froide. Il faisait un noir qui pesait lourd sur mes paupières. Je ne voyais pratiquement rien. Je n’ai pas vraiment eu le temps d’adresser ma prière au petit Jésus. J’étais seule.

J’avançais. Il était aux environs de minuit. Je le sais parce que je l’ai senti. Je frissonnais. Un souffle solitaire envahissait mon dos. Je tremblais. Mes doigts et mes dents claquaient en diapason. J’ai voulu courir. J’avais peur de tomber. Alors j’avançais vite et décidée. Il fallait rentrer. Me mettre au chaud et en sécurité.

J’avais à peine fait deux pas de plus que j’ai vu une ombre me suivre. Je ralentissais un peu la cadence. Je n’ai pas osé me retourner. La nuit appartient aux hommes. L’espoir que cette ombre soit mon ange gardien me rassurait. J’étais encore à quelques mètres de chez moi. J’aperçus la vieille voiture garée sur le trottoir. J’étais très près. J’avançais avec l’ombre, comme dans une compétition de vitesse. Je voulais rentrer et lui voulait me rattraper. Un, deux, trois pas. Il était de plus en proche de moi.

L’ombre s’est transformée. C’était le voisin, le couturier. Mais je ne voyais pas trop bien. C’était le mécanicien de la rue plus bas de chez moi. Non c’était son fils aîné. Ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Je ne pouvais pas identifier cette silhouette lugubre qui se tenait droit comme un poteau devant moi. J’ai voulu l’appeler par tous les noms que je connaissais, rien ne sortait. J’avais besoin de courir mais mes pieds me lâchaient. J’étais là devant lui et lui devant ma peur. Il chuchotait quelque chose avec un sourire fuyant. Je n’ai
pas saisi le sens de ses demi-phrases.

J’ai reculé d’un pas. J’ai voulu crier, chanter mais j’étais moite. Vide comme son regard. Ses yeux boiteux soulevaient mon désarroi. Il avançait d’un pas. J’aperçus un bâton dans sa main. Je crois qu’il m’a frappé avec.

Le soleil se pressait de se lever. Un petit vent frais l’accompagnait. J’ai mal à la tête. J’étais sur mon lit comme chaque matin. Tout mon corps me faisait mal. J’avais la nausée. Des souvenirs de la nuit précédente faisaient surface. Je me rappelle avoir été à une fête.

Je me rappelle avoir bu deux verres. Deux seulement. Je me rappelle avoir laissé un peu avant les autres. Je me rappelle avoir pris la route toute seule. Je me rappelle de l’ombre et puis rien. Rien. Le reste, des petites parcelles de néant qui vagabondent dans ma mémoire. Je suis nulle. J’ai trop bu. Je ne me rappelais même pas comment je suis rentrée chez moi. La bonne chose est que je suis peut-être saine et sauve.

Cinq mois se sont écoulés. Le destin faisait petit à petit son manège dans ma vie. Mes parents m’ont raconté que le père de l’ami dont j’ai été à la fête m’avait ramenée saoule et endormie. Il leur a raconté que j’avais trop bu qu’il ne pouvait pas me laisser prendre la route toute seule. Ils ont cru à cette histoire et moi aussi. Enfin presque. Puisque plus personne n’a cru à mon histoire. Mes souvenirs ont sombré dans l’anonymat.

Mon corps m’avait trahi. Mon ventre grossissait, mes pieds aussi. J’avais de plus en plus la nausée. Quelque chose n’allait pas dans mon corps comme ce soir là. Quelque chose grandissait en moi à mesure que je me disais que ce soir-là n’était pas un
cauchemar. Il était réel. Je l’ai vécu. Dix mois se sont écoulés. Cette soirée n’a cessé de laisser des marques, parmi elles un petit garcon qui a une mère de 17 ans.

Je crois que j’ai été violée. Par le mécanicien, son fils, par le voisin, le couturier, par le père de mon ami ou peut- être par l’ombre.

Mariah Chancie Baptiste

Mariah Sheba Chancie Baptiste est diplômée en philosophie et sciences politiques de la Faculté de l’IERAH/ISERSS de l’UEH. Elle a été journaliste-rédactrice au National et au Nouvelliste. Depuis 2016, elle est secrétaire générale de l’Association Vagues littéraires, qui édite la revue littéraire Do Kre I S. Son projet actuel : développer Rêver d’arc en ciel, un magazine de littérature de jeunesse en ligne.

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