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Personnes déplacées par la violence des gangs dans les rues de Port-au-Prince, Haïti | © Crédit Photo : Ralph Tedy Erol/Reuters

Le cauchemar des loyers en Haïti en temps de crise

Temps de lecture : 4 minutes

Mis à jour le 29 mai 2023 à 12h37

On vit dans un pays perpétuellement en crise. Face à l’absence de l’Etat, il ne subsiste que la loi de la demande façonnée par nos crises récurrentes. Pire encore, les autorités s’adaptent. Lorsqu’elles ne peuvent privatiser par peur de représailles populaires, leur silence vaut « sauve qui peut ». La justice est inexistante pour assurer un semblant d’équilibre. La population, vouée à elle-même, se voit contrainte de recourir à ses propres moyens pour se protéger. Entre massacres répétés, guerres des gangs et vendetta populaire, avez-vous des nouvelles du secteur immobilier en Haïti ?

Les déplacements forcés de nos compatriotes ont fait des heureux

Dans un contexte aussi difficile, en plus de cette perpétuelle crise d’emploi et le taux de change, la crise du loyer semble être ce mal dont personne ne veut parler à voix haute. Qui aurait cru que ce serait une arnaque de plus à laquelle on devrait faire face?

En quête de renseignements sur des maisons ou des appartements à louer, j’ai été vérifier sur les réseaux sociaux : Instagram, Facebook et Whatsapp business via ses catalogues. Je me suis aussi renseignée auprès de connaissances. Plus je cherchais, plus je me rendais compte que le marché du loyer en Haïti est un vrai scandale. Cependant, personne n’ose plus en parler. Est-ce par dépit ou par résignation ? Assurément, nous sommes pris dans l’engrenage d’un cercle vicieux.

Par exemple, pour la zone de Delmas, un appartement de 2 chambres, une toilette, un salon, une salle à manger, sans balcon, sans parking et sans cour est affiché à US$4000/an.
Une maison inachevée dont le rez de chaussée est proposé en appartement de 3 chambres, 2 salles de bain, 1 salon, 1 salle à manger avec cuisine, une cour, une dépendance est affichée à US$12 000/an. Le moins cher répertorié était un studio d’une chambre ; salle à manger et salon confondus, une cuisine et une toilette. Le prix affiché était de $3000/an. La dernière option, la moins chère, était un appartement au Canapé- Vert avec deux chambres, un salon, une salle à manger et une toilette dont le prix était de US$3000/an.

Le prix comme dissuasion à l’insécurité?

Face aux déplacements récurrents de la population à cause de l’insécurité, certains propriétaires ont eu la bonne idée d’afficher des prix élevés pour faire fuir les moins pourvus ; comme quoi ils seraient les porteurs de l’insécurité. On aurait poursuivi cette pensée stupide, dans l’état des choses, que la sécurité serait encore l’histoire de certaines zones.

Pourtant, il est connu qu’à une époque, avant la vague de la vendetta populaire, les zones ciblées étaient celles considérées comme inaccessibles aux moins pourvus. Aussi, « l’étendue des « territoires perdus » comme l’appelle notre ministre écrivain s’agrandit. Faut-il rappeler que notre président, un ancien sénateur de la République ont été assassinés dans les zones considérées comme « sauves »? S’il est vrai que Turgeau, Thomassin, Puits Blain ou certaines zones de Delmas n’ont pas encore connu de massacres comme en Plaine, Martissant ou Cité Soleil, des bandits s’y sont installés. Un rien, comme ce fut le cas à Turgeau, Canapé-Vert, suffit à faire éclater la situation.

Si pour certaines zones, l’insécurité a durablement affecté le prix des immeubles, pour d’autres, on espère encore. Cela s’expliquerait par le fait que ces zones étaient considérées comme perdues bien avant que le phénomène se généralise et gagne toute la capitale. Peut-être qu’au fond, on croit naïvement encore qu’il serait passager dans certaines zones et que les prix suffiront à faire fuir les mauvaises graines.

Qui sont les mauvaises graines ?

Avec les prix. sus-mentionnés, imaginons un peu le scénario. En 2020, un employé de la banque percevait un salaire de US$400, variable -surtout à la baisse- selon le taux. En se considérant le fonctionnement d’un foyer : loyer, nourriture et autres provisions, camion d’eau, gaz, imprévus etc. Quelque soit le scénario, à $400 le mois, comment peut-il convenablement subvenir à ses besoins ? En 2023, malgré l’inflation, les salaires n’ont pas trop changé.

Il convient de rappeler que le salaire minimum est toujours fixé à 250HTG par jour dans un pays où les prix des loyers dans les zones moins insécures s’affichent en dollar. Seraient-ce là les mauvaises graines ? Ceux qui se battent pour vivre dignement ? On oublie peut-être souvent que les gens en mesure payer les prix exorbitants demandés seraient les premiers bénéficiaires de l’insécurité.

Enfin, la révélation ! La majorité des propriétaires font partie de la diaspora. Ces derniers profitent d’un système corrompu auquel ils sont les premiers à avoir la solution sur les réseaux sociaux. Très souvent, ils refusent de négocier. Ces employés, ces petits commerçants obligés de lutter car ils ne peuvent pas partir se résignent alors. Cette résignation ouvre la porte à des compromis, voire des compromissions. Peu à peu, certaines victimes d’hier se transforment en les mauvaises graines d’aujourd’hui.

Le marché du sauve qui peut

On se répétera en employant un terme désormais obsolète : nous sommes livrés à nous mêmes. Chacun fait ce qu’il peut pour survivre, quitte à abuser, sans scrupule, de la faiblesse du voisin. Nous sommes actuellement témoins de ce qu’a produit un système judiciaire à la dérive, une vendetta populaire. Nous connaissons déjà la suite. Cependant, nous nous attachons naïvement à l’idée que le changement se produira par lui-même.

Le marché du sauve qui peut a produit les gangs qui nous expulsent de chez nous, de nos quartiers, de notre pays. Malgré la vendetta populaire, nos territoires perdus restent toujours perdus. Il convient de rappeler à la base des gangs armés, il existait des brigades quartiers. Aussi, la dissuasion par le prix place les véritables victimes entre le marteau et l’enclume, les obligeant souvent à la complicité. La dissuasion par le prix attire les penseurs du système.

Le marché du sauve qui peut est une machine féroce qui finit par broyer même ceux qui l’ont pensé. Nous sommes d’ailleurs déjà sur la voie… Bientôt, il n’y aura peut-être plus rien à sauver.

Ramona J. Adrien

À propos de Ramona Joëlle Adrien

Je m'appelle Ramona Joëlle Adrien, je suis Ergothérapeute travaillant surtout en Pédiatrie. Je suis une mordue des livres; passionnée des arts, de la musique et du volley-ball. Écrire est pour moi un moyen de m'echapper et m'isoler du monde ou de partager ce qui se passe au fond avec l'extérieur.

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