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Nos églises, devront-elles engager des agents de sécurité ?

Temps de lecture : 4 minutes

Mis à jour le 2 avril 2021 à 11h32

Ce Jeudi saint, des bandits ont envahi une église dans la commune de Carrefour en pleine adoration. Ils ont enlevé le pasteur principal, Audalus Estimé, et trois autres personnes. Une partie de la scène a été filmée.

Ce n’est pas la première fois que des hommes armés et mal intentionnés pénètrent dans une église. Il s’agit de la maison de Dieu avant tout. Aussi, en cette période rappelant la crucifixion de Jésus, fils de Dieu, pour le rachat des pécheurs, ne serait-ce pas la meilleure occasion pour inviter nos bandits à écouter la parole d’amour de la Bible ? On ne saurait oublier l’Église Assemblée de Dieu de Sans-fil ou l’Église de Saint-Jean Bosco, théâtre d’un massacre tristement célèbre le 11 septembre 1988. On ne saurait non plus oublier le nombre croissant d’églises obligées de fermer leurs portes à cause des gangs armés. Toute connivence entre les lieux de culte et les gangs armés serait déplorable même si la cohabitation est inévitable.

Cet événement aura-t-il une incidence sur les services, messes et cérémonies à venir ?

Si les précédents cités n’ont pas empêché que de tels événements se reproduisent, il n’en demeure pas moins un élément nouveau : l’enlèvement de quatre personnes. L’église n’est pas uniquement la maison où l’on enseigne la parole de Dieu, c’est aussi l’endroit où l’on collecte des offrandes, juteuses selon la zone et l’assemblée en question.

À défaut d’un Etat existant, les dirigeants des églises devront prendre des mesures, innover pendant qu’on y est. Ils pourraient, par exemple, s’offrir les services des compagnies de sécurité. En plus de protéger leurs fidèles, ils devront surtout sécuriser leurs recettes.

L’évangile est peut-être gratuite mais l’évangélisation, elle, coûte chère. Si des bandits s’amusent à enlever les pasteurs et leurs fidèles ou à tout simplement s’introduire dans les églises pour dérober l’argent des offrandes, avec quoi va-t-on espérer changer le coeur de nos semeurs de deuils ?

Aussi, devra-t-on fouiller chaque fidèle ? Du moins, devra-t-on interdire l’accès aux bandits ? Ne parle-t-on pas de la maison de Dieu ? L’église ou tout lieu de culte a toujours été considéré.e comme un lieu d’asile. Les autorités ou toute autre force armée y ont un accès limité. Il incombe d’abord aux officiants de garantir l’ordre et la sécurité. C’est seulement sur invitation de ces derniers que les autorités peuvent, en principe, intervenir. On pourrait par exemple citer l’affaire de Toulouse survenue le 1e février l’année dernière. Cette intrusion pourrait s’apparenter à un accroc à la liberté de religion consacrée à l’article 30 de la Constitution de 1987. Cependant, cette liberté de religion est limitée au trouble à l’ordre et à la paix publics. Même si on n’a pas pu répertorier des arrêts venant préciser clairement les limites des actions des autorités ou forces armées au sein des lieux de culte, l’école, l’université, les hôpitaux et l’église demeurent des espaces d’asile inviolables dans certaines limites.

Face à l’absence d’autorités ou des soupçons de complicité entre les autorités et les bandits, les officiants peuvent-ils vraiment inviter des agents de sécurité à sécuriser les lieux de culte ? Si logiquement, cela peut paraître possible, il s’agirait d’un accroc à l’essence même des lieux de culte caractérisée par la liberté. Il irait aussi à l’encontre, dans le cas présent, de ce qu’est l’église, de l’une des philosophies phares de la Bible : « Je ne suis pas venu appeler à la repentance les justes mais les pécheurs. » Luc 5:32.

Enfin, ce serait déresponsabiliser nos dirigeants. Nous les payons pour qu’ils nous sécurisent. Enter dans cette logique, c’est trop demander à un citoyen. C’est lui demander de faire attention en sortant dans la rue pendant que ses taxes et impôts paient pour sa sécurité. C’est aussi lui demander de faire attention pendant qu’il a mandaté des gens pour le protéger. Cest lui demander de ne pas sortir le soir, de ne pas porter des habits trop voyants pour ne pas attirer l’attention. Quelle autre obligation va-t-on les imposer? Aussi, même si nos lieux de culte seraient [sécurisés], ne (re)reviendrait-on pas vulnérables une fois dans la rue ?

C’est quoi la solution?

Le premier ministre doublement de facto parce qu’il n’a pas été consacré par le Parlement et parce qu’il co-dirige l’administration publique avec un président dont le mandat est arrivé à terme sur la base de l’article 134-2 de la Constitution de 1987, exhortait les parents de surveiller les fréquentations de leurs enfants après l’enlèvement suivi de l’assassinat d’Evelyne Sincère. Il convient de rappeler qu’Evelyne Sincère avait 22 ans. Que dira-t-il encore de trop pour se déresponsabiliser, lui qui n’échoue jamais ? Encouragera-t-il les lieux de culte, pour ceux qui en ont les moyens, à s’offrir les services de compagnie de sécurité ?

Bah… ce ne sera rien.
L’Administration qu’il co-dirige a allègrement violé la Constitution. Un article de plus ne changera pas grand chose.

Il revient alors aux citoyens de continuer à se mobiliser. On pourra penser que ce processus est peut-être trop long. Soit ! Cependant, on ne pourra pas non plus tomber dans une logique d’affrontements armés de peur de créer une véritable guerre civile. On ne pourra pas tous devenir des bandits. Face à la non-limite des bandits au pouvoir, en uniforme de police ou en caleçon, la responsabilité de tout citoyen conséquent est de mener une lutte dans les limites des valeurs démocratiques tout en étant innovant.

Si certains leaders du secteur protestant, du catholicisme et du secteur vaudou s’étaient déjà mobilisés contre l’insécurité, que cette ènième dérive rappelle aux indécis que la prière ne suffira pas ! Les fidèles chantaient (donc priaient deux fois) quand les bandits ont enlevé quatre d’entre eux.

Alain Délisca

À propos de Alain Delisca

Je suis Alain Délisca, un Haïtien. Le reste n'est qu'explorations et heurs.

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