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Handicap et « lougawou » – une enfant prise en chasse

Temps de lecture : 2 minutes

Mis à jour le 1 avril 2021 à 12h10

Marie habite au sommet d’une montagne sur la route de Miragoâne. Elle vit dans une famille paysanne et pauvre. Toute petite, son destin paraissait tout tracé. Elle n’avait pas d’ambitions. Son plus grand rêve était de trouver un bon mari qui répondrait à ses besoins existentiels. Ce rêve était sur le point de se réaliser.

Un homme fut attiré par sa peau d’ébène, ses dents blanches, ses rondeurs gracieuses et son amabilité l’a approchée. Un temps désabusée, elle s’est vite imaginée comme Cendrillon. Son prince charmant était venu la sauver de cette vie merdique.

Dès l’instant de leur rencontre, la vie coula douce. Le ciel était devenu plus bleu au point de colorer les sources. La rotation de la terre n’était plus aussi subtile qu’avant. Tout bougeait avec fracas autour de Marie. Ses sens étaient éveillés. Sournoise, elle s’est même donné la liberté de s’ouvrir. Un péché. Selon la tradition, elle devait attendre la nuit de son mariage.

Enivrée d’amour, elle a transgressé ces règles, ces valeurs qui la caractérisent.

L’hymen est déchiré. Un enfant est né neuf mois après. Une petite fille, héritière des traits de sa maman, est née de cette union libre. Très belle, elle faisait la joie de toute la famille. Le père, envoûté par les yeux de son enfant, promit de se marier bientôt.

 Deux années s’écoulent. La petite ne s’assied pas, ne marche pas et ne balbutie pas. Pas de « dada, papa, mama » dans la maison. Après les incantations du houngan de la famille, les prières adressées au saint patron de la zone et les visites incessantes au centre de santé, le problème persiste encore.

Pourquoi pas une ultime visite chez un médecin spécialiste de Port-au-Prince ? Le docteur annonce que c’est irréversible. La petite Tatiana est tétraplégique. Elle ne pourra jamais bouger toute seule. L’enfant est handicapée. Le père abasourdi, désemparé… est parti. On reproche à la mère de s’être livrée de manière irréfléchie. Par conséquent, cet enfant est le fruit de la malédiction.

Voyant qu’elle ne pouvait pas bouger, les plus proches voisins ont conclu qu’elle était démoniaque. Une petite lougarou. Dans les environs, dès qu’un enfant tombait malade, on accusait la petite fille de Marie de leur avoir jeté un sort. Cemalheur s’était invité pour couronner la désolidarisation de la famille. Des voisins ont essayé à plusieurs reprises de s’en prendre à elle. La mère, à bout de souffle, a dû se mettre en couple avec un homme costaud qui, croit-elle, pourrait la défendre. Elle s’était pourtant jurée de ne plus partager son lit avec un autre homme.

Un beau jour, alors que le soleil était à son zénith, Marie obtint d’une amie le numéro de téléphone d’un haïtien de la diaspora et l’appela pour lui demander son aide. Toutes ses demandes d’aide précédentes avaient été refusées. Il s’agissait de son dernier espoir et elle insista. Elle s’accrocha.

Cet homme vivant à l’étranger avait finalement cédé à ses cris de détresse. Il lui avait donné un peu d’argent sans rien attendre en retour. Pour une fois, la mère souffrante ne s’est pas sentie exploitée. Elle monta un petit commerce de produits alimentaires dans sa maison. Devenue autonome, elle était en mesure de mieux prendre soin de sa fille à qui la tétraplégie n’avait rien enlevé à la beauté.

Soudain les voisins s’approchaient de sa maison auparavant marquée au rouge.

« It was the place to be. » Ceux qui voulaient acheter à crédit venaient souvent caresser les cheveux et les joues de la fille handicapée jadis considérée comme une lougarou. Marie peut même à présent compter sur ses voisins pour veiller sur sa fille chérie lorsqu’elle partait renflouer son commerce.

Voilà que la « lougawou » du quartier est devenue un petit ange qui ne peut tout simplement pas voler.

Germina Pierre-Louis

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