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Le pouvoir exorbitant des banques haïtiennes face à la complaisance des autorités

Temps de lecture : 4 minutes

Mis à jour le 22 juin 2021 à 14h26

Une décennie après le procès Cleveland contre Wall Street, les banques continuent d’indigner les populations. Chez nous, la chanson n’est pas différente. Si nous sommes loin de la situation de la ville de Cleveland, symbole de la crise des subprimes provoquant 70 000 saisies de logements seulement en 2007, la note de la SOGEBANK indiquant un prélèvement de 0,35% sur les dépôts d’au moins $1000 pour des frais de gestion est l’un des plus récents exemples montrant le pouvoir exorbitant des banques.

Les banques gagnent souvent

Au lendemain de la crise des subprimes, la ville de Cleveland avait porté plainte contre des banquiers. Certaines sociétés rachetaient des maisons saisies par dizaines aux enchères et à des prix ridiculement bas pour les revendre à leurs anciens propriétaires. Ces derniers devenus des interdits bancaires n’avaient d’autre choix que de se tourner vers ces marchands peu scrupuleux pour trouver un toit. Des citoyens lésés, en colère, se sont ligués pour mener des actions collectives contre les banques qu’ils accusent d’être responsables de la crise de 2007. L’avocat Josh Cohen en est convaincu. Il a réclamé un procès auquel les 21 banques new yorkaises s’étaient farouchement opposés. Malgré les pratiques douteuses en matière de crédit, un procès de cinéma, dans des conditions réelles, va pourtant bien avoir lieu. En présence de vrais jurés, d’un juge de profession et des personnages non fictifs avec de vrais témoignages, la montagne accouchera d’une souris.

En Haïti, la SOGEBANK dont le slogan est passé de « Toujou bò kote w » à « N ap chanje bagay yo » a sorti une note pour informer que les dépôts d’au moins $1000USD seraient désormais prélevés de 0,35 % pour des frais de gestion. Cette note a suscité une vague de protestations. Au même moment, la Banque centrale, organe qui se porte garante de la bonne tenue du secteur bancaire n’a pas levé le petit doigt. Elle a tout simplement indiqué que la gourde a encore perdu des centimes face au dollar pour s’établir dans une fourchette de 90.00 ~91.00 HTG pour $1.00 USD.

La décision a été vite annulée, il faut le préciser. Mais comment penser et avoir le courage de sortir une note pareille dans la situation actuelle du pays? Normalement lorsqu’une décision se prend au sein d’un conseil d’administration d’une banque, elle est longuement discutée afin d’évaluer les pour et les contres. Enfin normalement… Combien de notes salées de nos chères banques avions-nous payé sans nous en rendre compte ? L’État, lui semble spectateur. En tout cas, il semble les accompagner sous challes…

La complaisance de l’État envers les banques

Si la PROMOBANK de Franck Ciné a été l’exception d’une connivence avec les autorités étatiques, certains y voyaient plus des raisons politiques que de gestions transparentes. Cependant, la SOGEBANK a été la grande gagnante en prenant le contrôle de la PROMOBANK sous les auspices de la BRH.

Les banques font souvent faillite mais elles s’en sortent aussi bien souvent grâce à l’Etat. Cela se matérialise par un soutien aux banques pour lequel les pouvoirs politiques ne lésinent pas: prêts gouvernementaux, garanties publiques, aides au rachat des actifs toxiques, ouverture complète des guichets des banques centrales. Les gouvernements se retiennent en bâtons mais n’hésitent pas à envoyer les carottes. La raison officielle: il faut éviter une crise systémique et la nationalisation est exclue.

Les banquiers obsédés par le profit ont profité de la dérégulation pour imaginer des produits quasi immoraux leur permettant de profiter de la crédulité combinée à l’impuissance des ménages.

Le rôle déterminant des banques commerciales est de recevoir du public des dépôts de fonds à vue et à terme. Elles effectuent des opérations de crédit à court, moyen ou à long terme, selon les proportions fixées par la BRH. Avec le développement de l’ingénierie financière et le démantèlement arbitraire des cloisonnements mis en place par la BRH, les banques se sont métamorphosées en « oppresseurs financiers ». Elles interviennent désormais dans plusieurs branches: la banque traditionnelle a désormais des ramifications dans l’immobilier (Sogebel, Kay Pam), l’assurance (UNIassurance entre autres).

Si leurs services se détériorent, elle ont pourtant grossi. Devenues « too big to fail » ; elles dictent leurs lois aux yeux et à la barbe des autorités.

Dr Eddy Labossière, 18 juin 2021

La taille des grands groupes bancaires leur confère un pouvoir économique et politique considérable. Ils contrôlent les marchés, font pression sur les ménages et entreprises en spéculant comme des traders convulsifs sur le marché des changes. La BRH propose, les banques commerciales disposent. Cette nouvelle dimension leur permet d’accroître leurs revenus et les incite à prendre plus de risques, ce qui conduit à déstabiliser l’ensemble du système. Ce cri d’alarme lancé par Jean Junior Joseph, ancien Secrétaire à la Communication sous Gérard Latortue et Jacques Édouard Alexis, le 24 mai 2021 sur Twitter l’explique clairement:

La Banque Centrale ne contrôle plus rien en #Haiti!
« Aujourd’hui à la Capital Bank à Pétion-Ville, quelqu’un est allé récupérer son transfert en dollars USD. Disons un p’tit kaka ARAN de $300USD directement » Disons un p’tit kaka ARAN de 300$USD directement de son compte en dollars USD. Selon la BRH,Si tu prends ton transfert directement sur ton compte, on devrait te donner des dollars. Résultat: La Capital Bank déclare au Monsieur « Pa gen dola ameriken sou kont dola li a »

Un service toujours aussi mauvais

Face à la demande grandissante, plusieurs succursales ont vu le jour, traduisant un secteur en santé. Cependant les lignes d’attente sont interminables. La crise COVID-19 a accentué le problème. À noter que, souvent seulement la moitié des caisses fonctionne. On trouvera toujours les mêmes excuses: roulements, heures de pause, pas de système.

« Ret nan liy lan pa t ap on pwoblèm, men on sachè dlo pete, kè w kase »

Si prendre une file d’attente à 35°C dans la rue à guetter toute situation dangereuse afin de prendre les jambes à son cou est une chose, être servi tout de suite après est une utopie. Face à ces plaintes, les banques se contentent de nous lancer plus de slogans:

« Faisons route ensemble »
« Toujou bò kote w. « 

Leurs slogans demeurent des slogans et les ménages haïtiens possédant un compte bancaire attendent des heures pour être servis. Ils signent des contrats quasi léonniens. Alors ils se plaignent. Néanmoins, se plaindre n’a jamais été une soution viable, et le chemin à parcourir pour des recours en justice n’est pas plus éclairci. Face à la situation qui prévaut en Haïti, nos banquiers pourront encore se la couler douce pendant encore des années.

À propos de Rodney Zulmé

Je suis Rodney Zulmé, rédacteur du groupe Balistrad. Passionné de scénarios et de thrillers. Chaque jour est une vie, à travers l'écriture, travaillons à la beauté des choses.

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