La caissière jeta un coup d’œil aux deux femmes qui longeaient les comptoirs du magasin. Elles étaient toutes les deux bien vêtues et semblaient friser la trentaine. Celle qui admirait les bagues devait bien faire 1m75, pourtant elle se déplaçait aisément sur de minuscules talons aiguilles. Elle tourna la tête et la caissière pût la dévisager à son aise. Beau visage ovale, des lèvres pulpeuses et un regard couleur café qui complimentait son teint d’ébène. Ah ce teint!
Quel gâchis pourtant, li te ka on pi si bèl fi sil pat nwè konsa, songea la caissière en se déplaçant derrière le comptoir.
Elle se tourna du côté de l’autre femme qui paraissait s’intéresser aux produits de beauté de dernier cri qu’offrait le magasin. Cette dernière était de taille moyenne, de longs cheveux bruns et bouclés lui retombaient autour du visage et venaient de temps en temps chatouiller son nez aquilin avant qu’elle ne les repousse d’un mouvement de tête. Elle était aussi belle que son amie, son teint pâle contrastant avec ses yeux bruns.
Gad on grimèl! pensa la caissière. Siman kèk boujwa, ban m al mande l si m ka ede l.
Elle dandina plus qu’elle ne marcha vers la femme au cheveux bruns et plaqua sur son visage un sourire aussi ‘fake’ que jaune.
-Bonjour Madame! En quoi puis-je vous aider aujourd’hui? Vous cherchez des produits pour la peau?
La femme lui rendit son sourire et hocha la tête.
-Oui, en fait je cherche une lotion pour le visage. J’ai entendu dire que cela retarde les rides et j’ai bien envie d’essayer.
La vendeuse élargit encore plus son sourire.
-Je comprends! Quand on est belle comme vous, on veut préserver cela !. Fit-elle, mielleuse. Suivez-moi Madame, je vais vous montrer notre sélection des meilleures crèmes pour visage.
Elle lui montrait une multitude de produits les uns plus coûteux que les autres lorsque l’autre femme les rejoint.
-Excusez-moi, fit-elle, il y a une bague que j’aime beaucoup dans votre vitrine et j’aimerais bien l’essayer.
La vendeuse jeta un regard dédaigneux à la cliente.
-Je suis occupée avec Madame pour le moment, jeta-t-elle sèchement. Je viendrai vous voir tout à l’heure.
Vanessa Derenoncourt – c’était son nom – ouvrit grand les yeux, surprise. L’autre femme en fit autant. Aucune d’elle ne pipa mot pourtant; Vanessa se dirigea calmement vers la vitrine, puis attendit.
Quelques minutes plus tard la vendeuse la rejoignit et sortit la bague de la vitrine.
– Juste pour vous dire, elle coûte $8 000 US cette bague, vous êtes sûre de vouloir l’essayer?
Vanessa plissa les yeux, elle commençait à comprendre ce qui se passait et décida de tirer parti de la situation.
-Oui, j’insiste. Je veux l’essayer.
La vendeuse lui jeta la bague plus qu’elle ne le lui donna et tourna les talons.
Quelques minutes plus tard, Vanessa l’appela de nouveau pour essayer une autre bague. Puis une autre. Et encore une! Elle essaya pas loin de dix bagues, sans en choisir aucune. L’une semblait lui paraître plus terne que l’autre.
Madanm lan genlè konprann se anba lavil li ye la! M te di l pa t ap ka achte anyen bò isit lan!
Après une quinzaine de minutes et vingt soupirs exaspérés de la vendeuse, elle se tourna vers l’autre femme qui flânait toujours dans le rayon cosmétique, jetant de temps à autre un sourire moqueur vers la scène.
-Margareth! As-tu choisi ta crème de jour?
-Non, je pense que je n’en ai plus besoin tout bien réfléchi.
-Je suis bien d’accord avec toi. En fait, je pense qu’on devrait rentrer, je n’ai trouvé rien qui vaille ici.
La vendeuse leva les yeux vers le ciel.
Elle allait retourner à sa caisse lorsque Vanessa l’arrêta.
-Vous savez, fit-elle, je pourrais vous faire payer votre affront de bien des manières, mais j’ai peur de perdre mon temps.
La jeune fille la regarda, interdite.
Sa madanm sa ap dim la? Li genlè fòl!
-Je ne comprends pas Madame, je…
-Vous comprenez très bien au contraire! Sachez que si j’avais voulu acheter ces bagues, j’aurais pu en acheter une dizaine. Gardez vos bijoux Mademoiselle, ainsi que votre arrogance. Frekan!
Elle fit un signe à son amie qui regardait la scène de son côté.
-On s’en va Maguy!
Les deux femmes se dirigèrent d’un même pas vers la sortie. La vendeuse les suivit des yeux, une moue sur les lèvres.
Tchuips, ou kwè se vre? Blòf wi! Bon débarras, pensait-elle.
Elle ne pût s’empêcher pourtant de jeter un oeil à travers l’une des fenêtres du magasin. Ce qu’elle vit la figea sur place et lui fit instantanément regretter l’épisode qui venait d’avoir lieu.
Deux gardes du corps armés jusqu’aux dents entouraient la femme à laquelle elle venait d’offrir un si médiocre service. L’un d’entre eux ouvrit la porte avant d’une Porsche noire aux vitres fumées et l’autre offrit une main à la dite femme qui entreprit de prendre place sur le siège avant du véhicule. Entre-temps, la dénommée Margareth prenait place sur le siège arrière. Lorsque la voiture démarra, la caissière ne pût s’empêcher de se mordre les lèvres.
– Shit. Men zen!
Vanessa éclata de rire lorsque Margareth, pour la cinquième fois imitait la voix pathétique de la petite caissière qui venait de se faire remettre à sa place.
Vava, w ap ri! Men an jwèt serye, mwen m t ap joure l! Yo twò konsa! Jis kounya m pa ka kwè bagay sa, m pa t reyalize se nan eta sa nou te ye non. Men Ayisyen an gen pwoblèm!
Tu ne crois si bien dire ma chère, songea Vanessa. Elle pensait à toutes les fois où elle avait été reléguée au second plan simplement à cause de la couleur de sa peau. Toutes les fois où elle s’était faite traiter différemment ou s’était fait dire bon pitit, si m te ou, m t ap douko wi! Elle soupira et secoua la tête, comme pour chasser ces souvenirs et revenir à l’instant présent.
Entre-temps on arrivait chez Margareth. Lorsque celle-ci fut partie et que la voiture démarra de nouveau, Vanessa se tourna vers ses gardes le regard mauvais et un sourire qu’ils ne connaissaient que trop bien sur les
Couleur café : Une affaire à suivre
Le lendemain, aux premières nouvelles, une jeune caissière avait été retrouvée morte dans un magasin huppé de Pétion-Ville. La police n’a voulu divulguer aucune information, mais tout porte à croire qu’il s’agirait d’un suicide. Oui, une jeune femme pleine de vie s’était suicidée sur son lieu de travail. Comme par magie, les cassettes de la caméra de sécurité avaient toutes été effacées. Mais ça, personne ne le saura, tout comme personne ne saura que le propriétaire du magasin venait de recevoir une petite somme bien rondelette qui lui permettra de s’offrir ces vacances à Paris dont il rêvait tant. L’affaire était close.
Cassandre Vertus