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[Le banditisme et la misère sont parrainés] De trop gros? J’en souris

Temps de lecture : 3 minutes

Mis à jour le 1 avril 2021 à 12h08

Une histoire a débuté. Non. Des pensées, des souvenirs ont été ressassés. Je me suis rappelé ce jour d’automne, 3 novembre 2020. Un journaliste m’avait questionné. Je lui avais répondu : « C’est un projet: balkaniser la société, l’Iraniser pour pouvoir contrôler et exploiter toutes nos ressources. En fait, le terroriser. C’est comme ça. Tout a débuté au Moyen-Orient. »

Aux reportages, ma réponse a été ignorée. Il a été seulement considéré : « Qu’il soit Démocrate ou Républicain, Haïti reste dans le viseur d’un requin ». Je me suis alors dit, peut-être avais-je tort de penser qu’à deux doigts du « paradis », puisse être toléré un « État terroriste ». Après, j’ai songé à Victor Gracia et compris que les mots ont été malicieusement choisis puis imposés pour être utilisés.

Je me suis alors souvenu du dilemme immigrés/expatriés. J’ai également pensé au « pouvoir des mots » et compris qu’une fois utilisés, ils vont être acceptés. La chose désignée va être perçue et traitée comme telle.

Mon premier réflexe était de me condamner d’avoir utilisé de « trop gros mots » pour parler de mon pays dans ce contexte fragile de Nouvel Ordre mondial. Malgré les données mobilisées et l’analyse historico-comparative embrassée, ma foi patriotique ne l’a pas accepté. « Le journaliste avait raison. Il a évité de crucifier Haïti, mon doudou. », Me suis-je réjoui.

Et après, tout reprenait le cours normal. Le banditisme, l’insécurité sont compris comme des phénomènes nationaux. Tout est à reprocher aux haïtien.ne.s qui n’arrivent pas à s’unir, ai-je admis. Les gangs armés sont juste à contenir. Pour les armes, les ports et frontières sont justes à contrôler. Que des raisonnements quotidiens, journalistiques apparemment normaux.

Le débat autour de la fin constitutionnelle du mandat présidentiel lancé, le même réflexe national revenait: aux Haïtiens de décider de leur sort. Même étant perplexe, reconnais-je, à nous nos torts: l’analphabétisme, l’ignorance du peuple haïtien, son irresponsabilité et son non-implication citoyenne. Pendant qu’on y est, à Haïti, sa décision de devenir pauvre! Les causes de nos malheurs sont donc nationales. Malgré par moments, je me suis demandé pourquoi est-il si difficile d’alphabétiser, de construire un projet de société, … ? Que ces réflexes d’adeptes de l’auto-déterminisme! Un auto-déterminisme qui a été paradoxalement conquis dès le départ. Un auto-déterminisme qui n’est pas à rechercher.

Parallèlement, comme les autres, je continuais à parler d’ingérence: terme moderne, comprend-on en Haïti, voulant seulement dire se mêler dans les affaires internes haïtiennes. Et le pays va à vau-l’eau avec les uniques responsabilités des acteurs internes à fixer. Que des souvenirs et réflexions perplexes ressassées en un sourire. Non…un fou rire qui pouvait déranger.

Je discutais avec l’oncle d’un ami, Sam. Par affectivité, je l’appelle l’Oncle Sam. Nous parlions souvent de politique. Il est intolérant et admire bien me voir tout le temps souscrire à ses points de vue et à sa position. Fervent patriote, il ne se distingue pas de la majorité des Haïtiens qui ignorent pourquoi ils crient pitié devant les ambassades en appelant par ailleurs à la non-ingérence. Le point central de ses discours : « À cause de ces ivrognes, ignorants et ses sanguinaires politiques le pays s’est effondré. Il faut tout simplement les expier de la direction du pays pour pouvoir tout arranger. »

Il m’avait invité à écouter une discussion entre deux chefs de gangs autour de la possession de cette arme à fragmentation. Cette arme, se disent posséder les hommes armés des Gonaïves: lance-roquette, arme préférée des terroristes. C’est ce que j’avais entendu. J’avais à peine terminé l’écoute quand a éclaté mon fou rire.

Mon fou rire l’avait sérieusement dérangé. Il n’a pas caché son inconfort. Pourquoi ce fou rire jeune homme ?, M’a-t-il demandé sur un ton sérieux. « Rien. Désolé. Je suis entièrement d’accord avec toi. », Lui ai-je répondu pour me souscrire comme toujours à ses propos. C’était en fait la détresse d’un patriote ayant compris que sa misère a été organisée ; les termes banditisme, gangs armés et alerte rouge vont bientôt être expirés et son pays – peut-être bientôt – déclaré et qualifié de « pays terroriste » avec toutes les conséquences y relatives encourues, que la situation socio-politique du pays est planifiée et parrainée depuis l’étranger.

C’était en fait ce que je voulais dire l’Oncle Sam. Comme j’aime bien l’appeler !

Dawoodson RAVIN,
Étudiant à l’INAGHEI et à la FASCH / UEH.
dawoodsonravin@gmail.com

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